8 janvier 2011
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Quand des idées figées depuis des années sont remises en question. Et c'est valable dans tous les domaines.
En 2001, Joël Bertho lançait plus qu’un pavé dans la mare, un bloc de pierre dans le Nil !
Selon cet architecte installé à Saint-Gély-du-Fesc (Hérault), les pyramides sont faites de pierres moulées et non taillées. En 1978, une hypothèse sur la construction avec des pierres de
synthèse ré-agglomérées avait été émise par le professeur Josepf Davidovits, sans toutefois convaincre les égyptologues. Pas de quoi décourager Joël Bertho qui parviendra à convaincre
l’universitaire montpelliéraine Suzanne Raynaud de l’intérêt de sa théorie. De retour d’expédition, la scientifique s’est lancée dans une série de conférences.
Il y a une image qui devra disparaître des livres d’Histoire : celle de ces longues files de travailleurs tirant de lourdes pierres jusqu’au pied des pyramides en construction.On savait
déjà qu’il ne s’agissait pas d’esclaves, mais de travailleurs. Voilà que l’on apprend qu’ils n’ont pas eu à tailler ces blocs de pierre, mais seulement à couler divers ingrédients dans des
moules afin d’obtenir une sorte de béton. Encore un peu et la construction des pyramides apparaîtrait presque comme une semaine de congés payés à Charm-el-Cheikh...
Plus sérieusement, s’ils n’ont sans doute pas eu à traîner des milliers de tonnes de pierres, les Égyptiens du temps de Khéops ont cependant dû trimballer des milliers et des milliers de seaux.
Ils étaient remplis tour à tour de l’eau du Nil, de chaux et de calcaire broyé, extrait de carrières déjà identifiées par les archéologues (le site de Tourah, sur l’autre berge du Nil).
En tout, on situe aux alentours de cinq millions le nombre de blocs utilisés sur le plateau de Gizeh. Naturellement, c’est une grande partie du scénario d’Astérix et Cléopâtre qui tombe à
l’eau. Mais la réalité archéologique fait un sacré bond en avant.« Le mortier de chaux est connu depuis la plus haute antiquité, il est mentionné dans la Bible. Les murailles de Jéricho (...)
étaient faites de pierres reconstituées », explique Joël Bertho.
Selon Joseph Davidovits, « les gens pensent que puisqu’on utilise des produits chimiques, il est très facile de trouver ces ingrédients dans le produit final. C’est faux. Grâce à la chimie des
géopolymères, la réaction chimique génère des éléments naturels, des minéraux qui peuvent être considérés comme naturels par un scientifique non informé ».La construction de la grande pyramide
de Khéops n’a pas duré plus de vingt ans. Un délai record qui ferait rougir bien des maçons du XXIe siècle, mais surtout qui va plus dans le sens de pierres moulées que de lourds blocs à
transporter. Les pierres moulées séchaient semble-t-il en quelques dizaines d’heures à température ambiante. D’après Davidovits, la construction des pyramides aurait exigé 100 000 à 120
000 pierres tout au plus pour le revêtement extérieur, ce qui représente 5 % de la totalité des blocs, les 95 % restant étant fabriqués.
Les recherches de Suzanne Raynaud et de son équipe semblent aller dans le sens de Bertho et Davidovits. Du haut de ces pyramides, les pharaons doivent bien s’amuser à voir s’agiter tous ces
curieux depuis plus de quarante siècles.
Suzanne Raynaud : « Ils ont décaissé tout autour »
L’universitaire montpelliéraine (CNRS, Université Montpellier II) a dirigé une expédition sur le site de Gizeh
Qu’est-ce qui a mis une géologue, chercheuse en pétro-physique, sur la route des pharaons ?
La première fois que Joël Bertho est entré dans mon bureau pour me présenter ses cailloux, j’ai plutôt eu envie de sourire et je n’étais pas plus intéressée que ça par les pyramides, pas plus
que par l’Égypte.
Quel a été l’élément déterminant, l’argument qui vous a poussée à approfondir la question ?
Selon lui, les blocs qui ont servi à ériger les pyramides ne sont pas des pierres taillées, mais des ouvrages de maçonnerie, moulés sur place, une sorte de béton. La théorie était intéressante.
J’ai examiné ses échantillons et j’ai remarqué des caractéristiques étranges. Cela a été le déclic.
En 2004, vous étiez sur place. A-t-il été facile de faire accepter votre démarche par les Égyptiens ?
Lorsque nous les avons contactés, les géologues égyptiens ont été très intéressés. C’est le Dr Zahi Hawaas - directeur des Antiquités égyptiennes au Caire - qui s’est chargé des
autorisations et cela s’est très bien passé.
On était en 2004, vous ne dévoilez vos résultats qu’aujourd’hui ?
Il y a d’abord eu le travail sur place, puis le retour ici et le temps des analyses. Il a également fallu reprendre notre travail universitaire... L’été dernier nous avons eu une publication au
bulletin de la Société française d’archéologie. Et maintenant il y a ce cycle de conférences. C’est une forme de retour pour le grand public.
Quelles sont les conclusions de ce premier bilan ?
J’y évoque notamment les apports de la géologie pour une meilleure compréhension de l’architecture de Gizeh. Nous avons effectué un bilan complet des pyramides de Khéops et Khéphren. En premier
lieu, nous avons déterminé que le plateau de Gizeh n’était pas plat, comme on le croyait.Les Égyptiens utilisaient les possibilités topographiques du terrain. Ici, ils ont profité de tertres
rocheux comme assises des pyramides (près de 40 % du volume total de l’édifice) et décaissé tout autour pour réaliser des esplanades. C’est d’abord une grande économie, l’équivalent d’un
million de m3 de pierres, mais aussi une symbolique : Pharaon est sorti de l’eau en prenant appuis sur une butte de glaise, la “butte primordiale”. C’est peut-être aussi cela qui fait reposer
les pyramides sur des collines, un retour à la source.
Et pour les pierres reconstituées ?
Ce sera l’objet d’une prochaine présentation. Nous avons pu avancer, notamment grâce aux ruines d’une pyramide également datée de la IVe dynastie. Car à Gizeh, nous n’avions pas le droit
de prélever des échantillons. Mais là, plus au nord, il n’y avait que des vestiges car les pierres ont été utilisées pour construire Le Caire.
Nous travaillons également depuis quelques mois sur le site de Saqqarah, où se trouve la pyramide de Djéser, nous y avons vu des choses étonnantes qui feront l’objet d'une conférence.
Textes : Philippe MOURET
Published by Françoise
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dans
Archéologie - Archaeology